Portrait de Claude

Portrait de Claude

La mère des enfants des rues

Portrait de Claude Hallégot par la journaliste Karine Djébari

Claude pourrait couler une paisible retraite sur les côtes déchiquetées de sa Bretagne natale. Au lieu de ça, cette infatigable militante, enseignante et directrice d’école, ancienne déléguée au droit des femmes, met son énergie au service des enfants des rues sénégalais.

« Quand j’ouvre les volets et que je vois ces petits, pieds nus, avec leur boîte, j’ai le cœur serré. Je n’ai jamais pu me résoudre à accepter la souffrance des enfants. » C’est une révolte intacte face aux injustices du monde, que Claude Hallégot a emportées dans ses valises, il y a plus de dix ans, lorsqu’elle s’est installée à Saint-Louis-du-Sénégal. Et si elle a troqué les sentiers bretons contre les pistes de brousse, ce n’est pas seulement pour la “Téranga” sénégalaise, cette hospitalité érigée en art de vivre. Ni pour le soleil éblouissant, le fleuve semé de pélicans, ou les vénérables baobabs étirant des moignons noueux dans un ciel uniformément bleu.

Cette ancienne directrice d’école — le groupe scolaire Louise Michel, à Brest, lui doit son appellation — consacre une partie de son temps et de son énergie à d’autres élèves. Mais ceux-là n’ont ni cahiers, ni crayons, ni même parfois, une paire de claquettes au pied. Enfants en rupture, ils sont dans la rue pour de nombreuses raisons liées à la pauvreté, à la violence, à l’exploitation, à l’éclatement familial, à certaines traditions détournées de leur objectif d’origine. Certains sont talibés-mendiants ou anciens talibés.

Placés en internes par leur famille, loin de chez eux, dans des daaras (écoles coraniques), ils sont là pour apprendre le coran mais passent le plus clair de leur temps à mendier au profit du marabout (maître coranique). Ils doivent rapporter de la nourriture et une certaine somme chaque jour sous peine de sanctions parfois violentes. Les maltraitances sont fréquentes ce qui provoque les fugues de nombre d’enfants.

 

50 000 petits mendiants

Ce petit peuple de nécessiteux ne figure pas sur les cartes postales, et pour cause. Pourtant, les touristes les croisent en permanence dans les rues de Dakar ou Saint-Louis, de l’aube à la nuit. Les trottoirs brûlants charrient des hordes de gamins vulnérables, victimes d’exploitation et de violences. Paradoxe, pour un pays qui interdit l’exploitation par la mendicité et la maltraitance infantile.

Ils seraient 50 000 à hanter les rues sénégalaises, selon les estimations d’Human Right. Peut-être même le double… Des dizaines de milliers de petits mendiants faméliques et dépenaillés, sur les berceaux desquels les bonnes fées ont oublié de se pencher.

C’est cette violence ordinaire qui a accaparé l’attention de Claude.

 

Histoire de La Liane

En 1996, avec quelques amis, Claude fonde l’association “la Liane” Bretagne-Afrique, symbole de la main tendue.

L’association consacre tout d’abord son énergie au développement d’un village de brousse, Khandane,  isolé au milieu des sables, et aujourd’hui cité en exemple pour ses réalisations durables : une école primaire de 7 classes et maternelle de 3 classes, un Poste de santé, des logements, une bibliothèque – au mur de laquelle trône fièrement Louise Michel, l’égérie de Claude –  un atelier de couture et teinture,  et même une salle informatique avec panneaux solaires.Tout ceci avec les villageois, les enseignants, et les partenaires sollicités qui ont soutenu le projet, grâce aussi à une collaboration fructueuse avec les services d’état sénégalais : personnels payés par l’état.

En 2001, création d’une ‘Liane’ France-Afrique dont le siège est à Nîmes.

En 2006, création de La Liane Sénégal, dont le siège est à Saint-Louis.Depuis, d’autres Liane et délégations ont vu le jour.

 En 2006 Claude et son équipe décident d’ouvrir un centre d’accueil d’urgence à Saint-Louis, en direction des gamins des rues, jeunes de 0 à 18 ans, garçons et filles, parfois accompagnées de bébés ou enceintes.

D’abord situé dans l’île, le centre se trouve maintenant à Ndiolofène, dans une maison achetée par un couple de généreux mécènes, et mise à disposition, gratuitement pour l’accueil des enfants.

Claude , la Directrice, son assistant, Ndiawar, Issa l’infirmier, 2 éducateurs, une sociologue, une cuisinière, des bénévoles volontaires et stagiaires assurent une permanence auprès de ces jeunes vulnérables, en rupture familiale et sociale.

Ici, les détresses sont nombreuses, des plaies du corps à celles du coeur. À chacun, on tente d’apporter une réponse appropriée, par la médiation (avec les parents, avec les marabouts), un recours juridique, ou la recherche d’une formation professionnelle. Un retour en famille, un apprentissage, une scolarisation, un diplôme, un emploi, sont autant de petites victoires… qui conduisent à l’estime de soi, l’insertion, l’autonomie, la place de citoyen(ne)s dans la société.

Une mini-crèche aide à l’accueil des petits et libère les jeunes mères pour leur formation.

Des activités artistiques, sportives, complètent l’insertion des jeunes dans la cité.

 

Sourire des gamins des rues

Mais pour nourrir, soigner, éduquer ce petit monde arraché à la misère, il faut de l’argent. Les associations de solidarité le savent bien : l’humanitaire est un tonneau des Danaïdes.

Subventions, dons, parrainages constituent une quête sans cesse réitérée.

Pour récolter des fonds et alerter l’opinion sur la situation de ces enfants, la Liane organise des manifestations visibles en France et au Sénégal : Interventions diverses,conférences, voyages solidaires, marché des solidarités, commerce équitable via les magasins Artisans du monde, concerts, spectacles, repas…

Aider La  Liane c’est, peut-être, offrir un autre destin !

En bientôt 10 ans le centre d’accueil de La Liane a hébergé des centaines  de petits pensionnaires. Et quand on voit aujourd’hui le sourire de ces enfants venus de la rue, apprenant à lire et à écrire, de ces gaillards devenus bijoutiers, menuisiers, ou mécaniciens, de ces jeunes femmes étudiantes ou employées en restauration, service, courageuses et indépendantes, on se dit qu’on peut faire reculer les déserts, mais que le chemin est long et qu’il reste beaucoup à faire.

Dans ce coin d’Afrique chauffée à blanc, Claude est devenue une mère d’adoption pour les enfants en mal d’avenir, auxquels elle tente d’offrir un monde un peu plus juste.

Plus qu’une liane, c’est un fil d’Ariane pour trouver le chemin de la liberté, qu’elle tisse à Saint-Louis-du-Sénégal.

Karine Djébari